Le stockage océanique du dioxyde de carbone

Ce n’est pas l’atmosphère qui contient le plus de CO2 … mais l’océan. La différence est même gigantesque: alors que la première contient un peu moins de 1 000Gt de CO2, l’océan en contient plus de 10 000. Ils absorbent environ un quart des émissions de dioxyde de carbone (CO2) générées par l’activité humaine chaque année. Une piste, pour résoudre le problème du dérèglement climatique, serait d’augmenter la quantité de carbone stockée par les océans ou d’utiliser les caractéristiques des fonds marins pour y stocker du carbone. On parle de stockage océanique du carbone.

Néanmoins, contrairement à ce que ce terme laisse entendre, plusieurs des technologies que nous allons voir vont non seulement stocker du carbone préalablement extrait, mais aussi le capter. On parle, dans ces cas, de technique de CDR, ou « Carbon Dioxyde Removal ».

Le dioxyde de carbone dans l’océan

Les océans capturent le carbone par le biais de deux principaux processus : le cycle du carbone solubilisé et le cycle biologique du carbone.

Le cycle du carbone solubilisé

Lorsque le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère entre en contact avec l’eau de mer, une partie de celui-ci se dissout. Une fois dissous, le CO2 réagit avec l’eau pour former de l’acide carbonique (H2CO3), qui se dissocie ensuite pour former des ions bicarbonate (HCO3-) et des ions carbonate (CO3 2-). La majorité du carbone dissous dans les océans est sous forme d’ions bicarbonate. Ce processus est souvent appelé la pompe solubilisée de carbone.

Le cycle biologique du carbone

En plus du cycle solubilisé, il y a le cycle biologique, parfois appelé la « pompe biologique de carbone ». Dans ce processus, le phytoplancton, qui est une forme de vie marine photosynthétique, absorbe le CO2 dissous pour la photosynthèse, transformant le CO2 en matière organique. Lorsque le phytoplancton meurt ou est consommé par d’autres créatures marines, il peut descendre vers le fond de l’océan, emprisonnant le carbone dans les sédiments océaniques. Ce carbone organique peut exister sous différentes formes, qui varient en termes de stabilité et de durée de vie dans l’océan. Par exemple, certaines molécules de carbone sont rapidement consommées par d’autres organismes (on parle de molécules « labiles »), tandis que d’autres peuvent circuler dans les océans pendant des milliers d’années avant d’être décomposées (ce sont les molécules « réfractaires »).

La convection océanique

Ces systèmes se combinent avec un autre phénomène: la convection océanique.

La convection océanique est un processus qui transporte de la chaleur (et d’autres propriétés comme le carbone) d’une partie de l’océan à une autre. C’est une forme de mélange vertical qui se produit lorsque l’eau de surface plus chaude et moins dense est poussée vers le bas par l’eau plus froide et plus dense qui vient des profondeurs de l’océan. Ce mouvement d’eau est principalement provoqué par des différences de température et de salinité, qui affectent la densité de l’eau.

Le carbone absorbé par les océans à partir de l’atmosphère est principalement stocké sous forme de bicarbonate dissous. Lorsque l’eau de surface se refroidit et s’enfonce dans l’océan lors de la convection, elle transporte avec elle ce bicarbonate dissous, ce qui permet de stocker le carbone dans les profondeurs de l’océan.

Les technologies de stockage océanique du dioxyde de carbone

L’idée est de profiter des caractéristiques de l’océan pour y stocker du carbone. Il y a plusieurs approches:

  • La fertilisation des océans, consistant à stimuler la croissance du phytoplancton en saupoudrant des zones de l’océan de différents éléments. La principale piste est l’ensemencement au fer, de très faibles quantité de cet élément pouvant, dans les zones carencées, avoir un impact considérable.
  • Le stockage géologique de carbone en mer, consistant à stocker le CO2 dans des cavités souterraines pour profiter de la haute pression des fonds marins, qui favorise la stabilité du stockage.
  • L’alcalinisation des océans consiste à en ajouter des substances alcalines, comme les hydroxydes ou les silicates, pour augmenter la capacité des océans à absorber le CO2.
  • L’injection océanique de faibles concentrations de CO2 en profondeur (~1000m) pour profiter de sa dilution naturelle.
  • Les carboglaces ou hydrates de CO2, plus denses que l’eau de mer, peuvent être lâchés dans l’océan et être « stockés » sur les fonds marins, où il vont (très) lentement se dissoudre dans l’eau.
  • Il est possible de créer des « lacs » de dioxyde de carbone dans des creux du plancher marin, en comptant sur la pression pour maintenir le CO2 en place.

Nous allons les détailler rapidement ici.

La fertilisation des océans

La fertilisation des océans est une méthode proposée pour augmenter l’absorption de CO2 par les océans en stimulant la croissance du phytoplancton, un organisme marin photosynthétique. Elle fonctionne en ajoutant des nutriments, généralement du fer ou du phosphate, dans les eaux de surface de l’océan. Ces nutriments stimulent la croissance du phytoplancton qui, par photosynthèse, convertit le CO2 en oxygène et en matière organique. Lorsque le phytoplancton meurt, il tombe au fond de l’océan, emprisonnant le CO2 dans les sédiments marins. Le principal intérêt de cette méthode est qu’elle pourrait potentiellement augmenter considérablement la quantité de CO2 que les océans peuvent absorber, contribuant ainsi à atténuer le changement climatique. Cependant, elle soulève des questions environnementales significatives, notamment sur les impacts potentiels sur les écosystèmes marins et le cycle des nutriments.

Le stockage géologique de carbone en mer

Le stockage géologique de carbone en mer consiste à injecter du dioxyde de carbone (CO2) dans des formations géologiques sous-marines pour un stockage à long terme. Ces formations peuvent être d’anciens réservoirs de pétrole et de gaz, ou des formations de basalte, qui peuvent réagir chimiquement avec le CO2 pour le transformer en minéraux stables.

Dans les profondeurs de l’océan, la pression est suffisamment élevée pour maintenir le CO2 dans une forme dense, presque liquide, appelée CO2 supercritique. Cela augmente la capacité de stockage des formations géologiques sous-marines parce que le CO2 supercritique prend moins de place que le CO2 gazeux. En outre, sous ces conditions de haute pression, le CO2 est plus soluble dans l’eau, ce qui peut favoriser certains processus chimiques, comme la minéralisation dans les formations de basalte, qui peut fixer le CO2 de manière plus stable et permanente. La pression de l’eau peut également contribuer à la sécurité du stockage du CO2 en mer. Si le CO2 était libéré, la haute pression et les basses températures des profondeurs de l’océan empêcheraient le CO2 de s’évaporer rapidement et de remonter à la surface. Au lieu de cela, le CO2 formerait des lacs sous-marins qui resteraient au fond de l’océan.

L’alcalinisation des océans

L’alcalinisation des océans implique l’ajout de substances alcalines, comme les silicates ou les hydroxydes de calcium et de magnésium, dans l’eau de mer. Ces substances réagissent avec le CO2 pour former des bicarbonates, ce qui augmente la capacité de l’océan à absorber le CO2 et réduit son acidité. Néanmoins, la quantité de matériaux qui seraient nécessaire laisse douter de la démarche.

L’injection directe de CO2

L’injection profonde de CO2 dilué exploite les propriétés naturelles de l’océan pour atténuer le changement climatique. Cette méthode, bénéficiant de la pression élevée et de la température basse des profondeurs marines, dissout et dilue le CO2. L’avantage majeur est qu’elle permet un stockage à grande échelle avec un impact minimal sur la vie marine et l’acidité locale de l’eau de mer. Cependant, les défis logistiques et le besoin de surveillance environnementale rigoureuse sont des obstacles.

Les carboglaces ou hydrates de CO2

Les carboglaces, essentiellement des structures solides de CO2 et d’eau, offrent une voie prometteuse pour le stockage du carbone dans l’océan. Grâce à leur densité supérieure à celle de l’eau de mer, elles coulent naturellement vers le fond marin, confinant efficacement le CO2. En outre, leur vitesse de dissolution relativement lente assure que seule une petite quantité de CO2 se dissolve avant d’atteindre le fond. Cependant, leur formation exige des conditions spécifiques de concentration de CO2 et de profondeur sous-marine. En outre, leur manipulation est délicate car l’hydrate pur ne circule pas facilement dans les conduits, et toute instabilité peut conduire à leur dissolution et dispersion lors de la descente ou de l’injection.

Enjeux et limites du stockage océanique de CO2

Les différentes technologies de stockage océanique de CO2 ont plusieurs limites récurrentes:

Impact environnemental: Toutes ces techniques ont le potentiel d’altérer l’écosystème marin, soit directement par la modification des conditions chimiques de l’eau de mer (acidité, alcalinité), soit indirectement par la modification de la dynamique des espèces (par exemple, la croissance du phytoplancton). Il est essentiel de comprendre et de gérer ces impacts potentiels.

Efficacité de stockage: L’efficacité du stockage de CO2 varie pour chacune de ces méthodes. Dans certains cas, comme pour la fertilisation des océans, une partie du CO2 peut être libérée à nouveau dans l’atmosphère. Pour d’autres méthodes, comme l’injection de CO2 à faible concentration en profondeur, l’efficacité dépend de la capacité de maintenir le CO2 dans les profondeurs de l’océan.

Gestion et contrôle: Il est crucial de surveiller et de contrôler ces processus pour éviter des effets indésirables, comme des fuites de CO2 ou des impacts négatifs sur les écosystèmes marins. Cette surveillance peut être complexe et coûteuse.

Coût et logistique: Les coûts associés à ces méthodes varient, mais ils peuvent tous être importants, notamment en ce qui concerne la capture du CO2, le transport, l’application de la méthode choisie et la surveillance à long terme. Ces défis logistiques doivent être pris en compte lors de l’évaluation de la faisabilité de chaque méthode.

Il faut aussi mentionner la quantité de matériaux nécessaire pour le cas de la fertilisation et de l’alcalinisation des océans.

Elements scientifiques à connaître

Sur le sujet du stockage océanique de CO2, il y a deux principes que vous pourrez rencontrer: le facteur de Revelle et la loi de Henry.

Le facteur de Revelle

Le facteur de Revelle, nommé d’après le scientifique Roger Revelle, est un paramètre utilisé en océanographie pour quantifier la capacité des océans à absorber le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère.

En termes plus simples, le facteur de Revelle est une mesure de la résistance des océans à l’absorption du CO2 atmosphérique. Plus ce facteur est élevé, plus il est difficile pour l’océan d’absorber du CO2 supplémentaire.

Il s’agit d’une mesure de la variation du CO2 par rapport à la variation du carbone inorganique dissous (CID). Le CID comprend le CO2, ainsi que d’autres formes de carbone inorganique comme les ions bicarbonate et carbonate. Lorsque le CO2 est absorbé par l’océan, il réagit avec l’eau pour former ces ions. Ainsi, le facteur de Revelle donne une indication de la capacité de l’océan à transformer le CO2 en ces autres formes de CID.

La loi de Henry

La loi de Henry est un principe fondamental en chimie qui décrit comment un gaz se dissout dans un liquide. Elle stipule que la solubilité d’un gaz dans un liquide est directement proportionnelle à la pression partielle de ce gaz au-dessus du liquide, à température constante. Autrement dit, plus la pression du gaz est élevée, plus une grande quantité de ce gaz se dissoudra dans le liquide.

Dans le contexte de l’absorption du dioxyde de carbone (CO2) par les océans, la loi de Henry est cruciale. Elle explique comment le CO2 présent dans l’atmosphère se dissout dans l’eau de mer. Lorsque la concentration de CO2 dans l’atmosphère augmente, comme c’est le cas avec les émissions anthropiques, la pression partielle du CO2 augmente également, ce qui conduit à une plus grande dissolution de CO2 dans les océans selon la loi de Henry.

Il convient de noter que la solubilité du CO2 dans l’eau de mer est également influencée par d’autres facteurs, tels que la température de l’eau et la salinité. Par exemple, le CO2 est plus soluble dans l’eau froide que dans l’eau chaude. Ainsi, alors que la loi de Henry fournit une première approximation de l’absorption du CO2 par les océans, le processus réel est plus complexe et dépend de plusieurs facteurs environnementaux.