La Capture, Utilisation et Stockage du Carbone (CCUS): une partie centrale de l’innovation écologique

La Capture, Utilisation et Stockage du Carbone (CCUS) consiste à capturer le dioxyde de carbone (CO2) émis par des sources industrielles et énergétiques et de l’utiliser ou le stocker. Cela permet d’amoindrir le bilan carbone des procédés polluants, comme la production de ciments, qui sont impossible à décarboner complètement. De même, des centrales à charbon et à gaz qui d’une part seront nécessaires pour absorber les variations des énergies intermittentes et d’autre part vont être là pendant plusieurs dizaines d’années, l’arrêt d’une centrale en cours de vie étant très couteux.


La Terre se réchauffe, dans une large mesure à cause du CO2 émis par l’Humanité. Pour lutter contre cela, il y a plusieurs pistes: diminuer la consommation de services et de biens polluants et décarboner leur production. Néanmoins, il restera encore des procédés qu’on ne pourra pas décarboner. Il faudra alors capturer le carbone et le stocker. Face à ces émissions de CO2 qu’on ne peut pas supprimer, il y a deux choix:

  • Récupérer le CO2 déjà émis, dans l’atmosphère, par exemple en plantant des arbres. Cette approche est celle de la CDR ou Carbon Dioxide Removal (élimination du dioxyde de carbone).
  • Les attraper dès qu’elles sont émises, par exemples à la sortie des cheminées d’usines et de centrales. Cette approche est celle de la CCUS (Carbon Capture Use or Storage) stricto sensu. C’est elle que nous allons voir ici.

Le principe de la CCUS

La Capture, Utilisation et Stockage du Carbone (CCUS) est une technologie qui a pour objectif de capturer le dioxyde de carbone (CO2) émis par des sources industrielles et énergétiques, de l’utiliser à des fins utiles, et/ou de le stocker de manière sûre pour éviter qu’il ne soit libéré dans l’atmosphère.

Voici les étapes principales de la CCUS :

  1. Capture du CO2 : Le CO2 est capturé directement à la source, par exemple dans une centrale électrique ou une usine industrielle. Cela peut être fait en utilisant diverses techniques, comme l’absorption chimique, l’adsorption physique, les membranes de séparation ou la combustion en oxygène.
  2. Transport : Une fois capturé, le CO2 doit être transporté vers un site d’utilisation ou de stockage. Cela se fait généralement par pipeline, bien que le transport par navire ou par camion puisse également être utilisé dans certains cas.
  3. Utilisation : Le CO2 capturé peut être utilisé dans diverses applications, comme la production de produits chimiques, la fabrication de matériaux de construction, ou l’agriculture. L’une des utilisations les plus courantes du CO2 est l’amélioration de la récupération du pétrole, où le CO2 est injecté dans un réservoir de pétrole pour augmenter la quantité de pétrole qui peut être extrait.
  4. Stockage : Si le CO2 capturé n’est pas utilisé, il doit être stocké de manière sûre pour éviter qu’il ne soit libéré dans l’atmosphère. Le stockage géologique profond est la méthode la plus couramment utilisée, où le CO2 est injecté dans des formations rocheuses souterraines, comme des gisements de pétrole et de gaz épuisés ou des aquifères salins profonds.

Un outil indispensable pour répondre au besoin de flexibilité

Le développement d’énergies renouvelables intermittentes, indispensable passage pour la transition énergétique, met les systèmes électriques en danger: il faut pouvoir absorber les creux et les pics de production. C’est pour cela qu’il y aura de plus en plus besoin de flexibilité. Celle-ci pourra peut-être un jour être absorbée par les batteries et les STEP, mais on peut en douter. Quoi qu’il en soi, elle est aujourd’hui dans une large mesure absorbée par … les énergies fossiles.

En effet, les centrales à gaz ou à charbon peuvent ajuster rapidement leur production en fonction de la demande ce qui les rend précieuses pour assurer la stabilité du réseau. Cependant, ces centrales émettent de grandes quantités de CO2, contribuant au changement climatique.

C’est là que la CCUS entre en jeu. En capturant le CO2 émis par ces centrales à énergie fossile, la CCUS peut aider à réduire les émissions tout en permettant aux centrales de continuer à fournir une source d’énergie flexible. Ainsi, la CCUS peut jouer un rôle clé pour concilier les exigences de stabilité du réseau et les objectifs de réduction des émissions dans le cadre de la transition énergétique.

Dans le scénario de développement durable de l’IAE, le CCUS représente 15% de la réduction cumulée des émissions du secteur énergétique jusqu’en 2070. La quantité de CO2 capturée dans les centrales à combustibles fossiles atteint 220 Mt en 2030 et 4,0 Gt en 2070.

Les principales technologies de capture du carbone

  1. L’absorption chimique : C’est la technique la plus avancée pour la séparation du CO2. Elle consiste à faire réagir le CO2 avec un solvant chimique, généralement à base d’amines, dans une colonne d’absorption. Le solvant chargé de CO2 est ensuite chauffé dans une colonne de désorption, libérant ainsi le CO2 pur pour le stockage et régénérant le solvant pour un nouveau cycle d’absorption.
  2. La séparation physique : Elle utilise des procédés physiques tels que l’adsorption, l’absorption, la séparation cryogénique ou la déshydratation et la compression pour séparer le CO2 des autres gaz.
  3. La séparation par oxy-combustion : Cette méthode consiste à brûler du carburant dans de l’oxygène presque pur pour produire un flux de gaz de combustion composé principalement de CO2 et de vapeur d’eau. Le CO2 peut ensuite être facilement séparé par déshydratation.
  4. La séparation par membrane : Cette technologie utilise des membranes polymères ou inorganiques sélectives pour le CO2, qui permettent au CO2 de passer à travers tout en retenant les autres gaz.
  5. Le calcium looping : Cette technologie à deux réacteurs utilise la chaux comme sorbant pour capturer le CO2 à partir d’un flux de gaz pour former du carbonate de calcium, qui est ensuite régénéré pour libérer du CO2 pur.
  6. La séparation directe : Cette technologie est utilisée dans la production de ciment pour capturer les émissions de CO2 en chauffant indirectement le calcaire à l’aide d’un calcinateur spécial.

L’absorbtion chimique

L’absorption chimique du CO2 repose sur la réaction entre le CO2 et un solvant chimique, comme les composés d’éthanolamine. C’est le procédé « standard », technologiquement mature (TRL 9-11). Cette opération est réalisée avec deux colonnes : l’une pour l’absorption et l’autre fonctionnant à une température plus élevée, libérant du CO2 pur et régénérant le solvant chimique pour une nouvelle utilisation. L’absorption chimique utilisant des solvants à base d’amine est la technique de séparation du CO2 la plus avancée. Elle est largement utilisée depuis des décennies dans plusieurs projets à petite et grande échelle dans le monde entier, dans la production d’énergie, la transformation de combustibles et la production industrielle.

La séparation physique du CO2

La séparation physique du CO2 s’appuie sur l’adsorption, l’absorption, la séparation cryogénique, ou la déshydratation et la compression. L’adsorption physique utilise une surface solide, comme le charbon activé, alors que l’absorption physique utilise un solvant liquide, comme le Selexol or Rectisol. Après capture par un adsorbant, le CO2 est libéré en augmentant la température ou la pression.

Cette séparation physique est actuellement utilisée dans le traitement du gaz naturel et la production d’éthanol, de méthanol et d’hydrogène, avec neuf grandes installations en fonctionnement, toutes situées aux États-Unis. Elles utilisent généralement des solvants propriétaires, la séparation sous vide ou des techniques de séparation cryogénique. Le plus grand site de CCUS appliqué à la production de biocarburants repose sur la déshydratation et la compression, tandis qu’une autre usine utilise la séparation physique du CO2 par séparation et compression de flux de CO2 hautement concentrés. C’est globalement une technologie assez mature (TRL 9-11).

La séparation par oxy-combustion, dite « oxy-fuel »

La séparation par combustion à l’oxygène, ou oxy-combustion, consiste à brûler un combustible avec presque de l’oxygène pur et à capturer ensuite le CO2 émis. Comme le gaz de combustion est presque exclusivement composé de CO2 et de vapeur d’eau, cette dernière peut être facilement éliminée par déshydratation pour obtenir un flux de CO2 de haute pureté.

L’oxygène est généralement produit commercialement par séparation de l’air à basse température, ce qui est énergivore. Réduire la consommation d’énergie de cette étape et de l’ensemble du processus est donc essentiel pour réduire les coûts de capture. La technologie est actuellement à un stade de prototype ou de pré-démonstration. (TRL 5-7)

Cette technologie a été notamment testée dans des centrales à charbon (ex: projet Callide en Australie) et des usines de production de ciment (usine HeidelbergCement de Colleferro en Italie).

La séparation par membrane

La séparation par membrane est une méthode de capture du CO2 qui repose sur l’utilisation de polymères ou dispositifs inorganiques hautement sélectifs au CO2. Ces membranes laissent passer le CO2 tout en retenant les autres gaz présents dans le flux de gaz. Cette technologie est globalement au stade du démonstrateur (TRL 6-7). Elle serait néanmoins utilisée à grande échelle dans une centrale au Brésil par Petrobras.

Des membranes destinées à éliminer le CO2 du gaz de synthèse et du biogaz étaient déjà disponibles sur le marché. De nouvelles membranes sont développées pour filtrer les fumées industrielles.

Au-delà de ces applications, la séparation par membrane présente un potentiel significatif pour d’autres utilisations, en particulier pour le traitement des émissions industrielles. La recherche et le développement continus dans ce domaine visent à améliorer l’efficacité de ces membranes et à réduire leurs coûts, afin de rendre cette technologie plus viable et plus largement utilisée pour la capture du CO2.

La séparation par boucle de calcium

Le bouclage du calcium (« calcium looping ») est une technologie de capture du CO2 qui fonctionne à haute température à l’aide de deux réacteurs principaux. La chaux (CaO) capte le CO2 d’un flux de gaz pour former du carbonate de calcium (CaCO3), qui est ensuite régénéré dans le second réacteur, produisant de la chaux et un flux pur de CO2. La chaux est ensuite réintroduite dans le premier réacteur.

Actuellement, cette technologie, principalement testée à l’échelle de l’usine pilote pour les combustibles à lit fluidisé à base de charbon et la fabrication de ciment, en est aux stades 5-6 du niveau de maturité technologique (TRL). Deux projets européens développent des technologies de capture par bouclage du calcium pour la production d’acier et de ciment.

Une technologie similaire est le bouclage chimique. Elle implique également deux réacteurs : dans le premier, de petites particules de métal, comme le fer ou le manganèse, sont utilisées pour lier l’oxygène de l’air et former un oxyde métallique. Cet oxyde est ensuite transporté au second réacteur où il réagit avec le combustible, produisant de l’énergie et un flux concentré de CO2, régénérant ainsi la forme réduite du métal. Le métal est ensuite réintroduit dans le premier réacteur. Ces technologies promettent une capture efficace du CO2 avec une consommation d’énergie réduite, mais elles nécessitent encore des développements supplémentaires pour une utilisation à grande échelle.

La séparation directe (production du ciment)

La séparation directe du CO2 représente une avancée significative dans la réduction des émissions de carbone provenant de la production de ciment. Cette technologie, encore au stade de démonstration, utilise un calcinateur spécial pour chauffer indirectement le calcaire, libérant ainsi du CO2 sans le mélanger à d’autres gaz de combustion, réduisant ainsi les coûts énergétiques liés à la séparation des gaz.

Le CO2 supercritique

Une autre innovation concerne les centrales thermiques traditionnelles qui utilisent normalement des gaz de combustion ou de la vapeur pour alimenter des turbines. Les cycles de puissance au CO2 supercritique utilisent du CO2 à une température et une pression au-dessus de son point critique pour alimenter les turbines. Ces cycles nécessitent l’utilisation d’oxygène presque pur pour la combustion du carburant, ce qui permet d’obtenir un gaz de combustion uniquement composé de CO2 et de vapeur d’eau. Deux de ces cycles sont actuellement en fonctionnement, le cycle Allam de NET Power et le cycle CES de Trigen Clean Energy Systems. Ces technologies pourraient constituer une avancée majeure dans la réduction des émissions de CO2.

Les principaux usages de la CCUS dans l’industrie

La maturité de chacune des technologies qu’on vient de voir varie en fonction du domaine industriel d’application. Ainsi, la CCUS par absorbtion chimique est mature commercialement (TRL 11), alors que l’absorption physique est encore en cours d’adoption par le marché (TRL 9). Cette dernière n’est même pas mature technologiquement pour la production de méthanol, étant encore au stade de la démonstration (TRL 7-8).

Vous pouvez lire ci-contre la maturité pour chaque procédé de captation du CO2 pour de nombreuses industries. Les cases oranges traduisent un développement au stade du prototypage de grande ampleur (TRL 5-6).

Source: IAE, Direct Air Capture 2022

La CCUS aujourd’hui

La CCUS est pratiquée depuis plusieurs dizaines d’années, quasi-exclusivement pour pratiquer l’Enhanced Oil Recovery (EOR), une technique consistant à injecter du CO2 dans des gisements d’hydrocarbure pour en extraire le plus possible.

L’EOR (Enhanced Oil Recovery)

L’Enhanced Oil Recovery (EOR), ou récupération assistée du pétrole, est une technique utilisée pour augmenter la quantité de pétrole brut qui peut être extrait d’un gisement de pétrole. Contrairement à l’extraction primaire et secondaire qui utilisent respectivement la pression naturelle du gisement et l’eau pour pousser le pétrole vers la surface, l’EOR utilise des méthodes plus sophistiquées, comme l’injection de gaz (par exemple le CO2), de vapeur ou de produits chimiques dans le gisement pour mobiliser le pétrole qui ne peut pas être extrait par les autres méthodes. En l’espèce, c’est l’injection de CO2 qui nous intéresse. Il est injecté dans le gisement pour aider à l’extraction du pétrole, et une partie de ce CO2 reste ensuite stockée dans le gisement.

Notez que cette pratique dépend beaucoup des prix du pétrole. La chute des prix a par exemple poussé NRG à suspendre en mai 2020 les opérations de capture de CO2 de la centrale à charbon Petra Nova au Texas, qui a une capacité de capture de 1,4 Mt de CO2 par an. L’exploitant a indiqué que les coûts de fonctionnement des installations de capture nécessitaient un prix du pétrole brut supérieur à 60-65 USD le baril, alors que le prix moyen était inférieur à 40 USD le baril en 2020.

Liste des principales installations utilisant de la CCUS

CountryProjectOperation dateSource of CO2CO2 capture capacity (Mt/year)Primary storage type
United StatesTerrell natural gas plants1972Natural gas processing0.5EOR
United StatesEnid fertiliser1982Fertiliser production0.7EOR
United StatesShute Creek gas processing facility1986Natural gas processing7.0EOR
NorwaySleipner CO2 storage project1996Natural gas processing1.0Dedicated
US/CanadaGreat Plains Synfuels (Weyburn/Midale)2000Synthetic natural gas3.0EOR
NorwaySnohvit CO2 storage project2008Natural gas processing0.7Dedicated
United StatesCentury plant2010Natural gas processing8.4EOR
United StatesAir Products steam methane reformer2013Hydrogen production1.0EOR
United StatesLost Cabin Gas Plant2013Natural gas processing0.9EOR
United StatesCoffeyville Gasification2013Fertiliser production1.0EOR
BrazilPetrobras Santos Basin pre-salt oilfield CCS2013Natural gas processing3.0EOR
CanadaBoundary Dam CCS2014Power generation (coal)1.0EOR
Saudi ArabiaUthmaniyah CO2-EOR demonstration2015Natural gas processing0.8EOR
CanadaQuest2015Hydrogen production1.0Dedicated
United Arab EmiratesAbu Dhabi CCS2016Iron and steel production0.8EOR
United StatesPetra Nova2017Power generation (coal)1.4EOR
United StatesIllinois Industrial2017Ethanol production1.0Dedicated
ChinaJilin oilfield CO2-EOR2018Natural gas processing0.6EOR
AustraliaGorgon Carbon Dioxide Injection2019Natural gas processing3.4-4.0Dedicated
CanadaAlberta Carbon Trunk Line (ACTL) with Agrium CO2 stream2020Fertiliser production0.3-0.6EOR
CanadaACTL with North West Sturgeon Refinery CO2 stream2020Hydrogen production1.2-1.4EOR
Source: IEA, https://iea.blob.core.windows.net/assets/181b48b4-323f-454d-96fb-0bb1889d96a9/CCUS_in_clean_energy_transitions.pdf


  • https://ieaghg.org/publications/technical-reports/reports-list/9-technical-reports/951-2019-02-towards-zero-emissions